En apparence, un boom boursier en Chine a peu en commun avec une guerre de territoire dans la livraison de repas à São Paulo. Pourtant, la frénésie d’origine étatique qui soulève les actions chinoises et la bagarre à mains nues entre Meituan (3690.HK) et DiDi prennent toutes deux leur source dans un écosystème domestique unique dont les caractéristiques ne font que commencer à être pleinement comprises par le reste du monde.
Les chiffres derrière le rallye boursier de la Chine sont en effet remarquables. Au cours des 52 dernières semaines, l’indice de référence Hang Seng a grimpé de 40 %, suivi de près par le Shanghai Composite à 36 %. En comparaison, le S&P 500 et le Dow Jones ont enregistré des gains plus modestes, de 16 % et 10 % respectivement. Si certains affirment que ce rallye est une correction justifiée pour des actions qui avaient été malmenées pendant des années, nous estimons qu’il y a un manque distinct de fondamentaux pour justifier une telle hausse, compte tenu de la faiblesse de l’économie générale de la Chine.
À notre avis, deux forces principales sont à l’œuvre. Premièrement, les investisseurs chinois ont peu d’autres endroits où mettre leur argent. Le secteur immobilier est en crise prolongée et les taux d’intérêt ont été conduits à des niveaux bas, laissant le marché boursier comme l’une des seules options viables pour obtenir un rendement décent.
Deuxièmement, et c’est là le plus important, la spéculation est conduite par la politique gouvernementale. Pékin a clairement indiqué qu’il soutiendrait certains secteurs jugés prioritaires pour la sécurité nationale. Nous avons constaté un afflux d’investissements dans des secteurs comme les nouvelles énergies, les véhicules électriques, l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs, alimenté par la conviction que les entreprises favorisées par le gouvernement représentent un pari sûr. Ce rallye est bâti sur l’espoir que si l’on investit là où pointe le gouvernement, l’on fera de l’argent.
Cela nous amène à la question cruciale de la durabilité. Nous avons déjà vu ce film. Il y a dix ans, en 2015, les marchés chinois ont doublé en six mois environ avant de s’effondrer tout aussi spectaculairement. Cependant, nous devrions faire preuve de prudence quant aux comparaisons historiques directes. Ce rallye s’est produit alors que l’économie chinoise était beaucoup plus forte. Les petits rallyes plus récents ont vacillé lorsque les promesses gouvernementales de soutien n’ont pas abouti à des actions concrètes. Ce sentiment de nouveauté est dû au fait que les efforts du gouvernement pour soutenir les secteurs clés semblent plus sincères. Néanmoins, la survie du rallye dépend toujours de la capacité de Pékin à fournir des résultats tangibles à l’économie dans son ensemble, et non pas seulement des mots. Si des actions concrètes visant à stimuler l’économie de consommation ne sont pas mises en place dans les mois à venir, nous pensons que les investisseurs pourraient commencer à sortir leurs fonds.
Une querelle technologique chinoise au Brésil
Le deuxième événement, une querelle d’entreprise naissante en Amérique du Sud, montre ce qui se passe lorsque la culture commerciale intérieure de la Chine devient mondiale. Le choc implique le géant du covoiturage DiDi et le leader de la livraison de repas Meituan, qui se battent désormais pour la suprématie au Brésil. DiDi, déjà implanté sur le marché avec sa marque 99 Food, a répondu à l’entrée prévue de Meituan avec sa marque Keeta en faisant pression sur ses partenaires restaurants pour qu’ils ne travaillent pas avec le nouveau venu. Meituan a poursuivi DiDi pour concurrence déloyale à São Paulo, et DiDi a rapidement intenté un contre-procès pour violation de marque, affirmant que le logo jaune de Keeta était trop similaire au sien.
Ce drame est assez amusant. Meituan a certainement raison au sujet du comportement anti-concurrentiel de DiDi. Pourtant, nous ne pouvons nous empêcher de noter l’ironie de la situation, dans la mesure où Meituan n’est pas un joueur équitable non plus. Il a utilisé des tactiques agressives de sous-enchère pour évincer des concurrents comme Deliveroo à Hong Kong. C’est un cas de l’hôpital qui se moque de la charité.
Sur une note plus sérieuse, ce spectacle public a des implications significatives. L’issue ne sera pas décidée par les entreprises, mais par les tribunaux et le gouvernement brésiliens. Ces derniers font face à un choix difficile : laisser les guerres de prix apporter des services moins chers aux consommateurs ou protéger les entreprises locales d’une extinction causée par ces géants étrangers. Le Brésil a un passé de protection de ses industries, comme on l’a vu avec les récents tarifs imposés sur l’acier chinois, et il pourrait se sentir obligé d’agir.
Ce genre de « concurrence vicieuse », comme le président Xi Jinping l’a un jour qualifiée, est quelque chose que l’on constate constamment parmi les entreprises chinoises. Que ce soit dans les secteurs des véhicules électriques et des panneaux solaires sur le territoire national ou dans la confrontation entre Shein et Temu à l’étranger, la caractéristique distinctive est la course vers le bas. Ce comportement contraste fortement avec la concurrence plus « civilisée » et rationnelle observée entre les entreprises occidentales, qui se concentre généralement sur la valeur du produit et la publicité plutôt que sur une réduction agressive des prix et des poursuites judiciaires publiques.
À mesure que les entreprises chinoises s’étendent, les marchés émergents pourraient devenir plus agressifs dans l’établissement de limites afin de donner à leurs propres acteurs la chance d’innover et de croître. Le système d’origine étatique qui alimente les rallyes boursiers spéculatifs à domicile a également engendré une génération d’entreprises dont l’instinct premier est la rivalité acharnée, et le monde entier est désormais leur arène.
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